Le travail se faisait à ciel ouvert ce jour-là. Les bancs et les tables étaient disposés dans l’herbe et tout le monde travaillait à cœur joie sous un magnifique ciel bleu.

J’étais là, debout près de ma collègue, avec laquelle je vérifiais un dossier.
Tout à coup, je vis deux avions à l’horizon. Ils volaient doucement, mais surtout, extrêmement bas. L’un des deux zigzaguait dangereusement dans notre direction comme s’il était en proie à un problème technique. Mon cœur palpitait. C’était impressionnant de voir de si près, deux engins de cette envergure. Je pouvais distinguer nettement leurs fuselages métalliques longilignes, les trappes et boulons situés en dessous, sans compter, l’amplitude des ailes, intégrant des petits volets de part et d’autre.

Une fois les avions passés, je relâchais la pression, soulagée qu’ils ne se soient pas écrasés sur nous…
Mais, à peine, m’étais-je fait cette réflexion, que le bruit s’amplifiait à nouveau derrière moi.
J’eus juste le temps de me retourner, que l’un des avions piquait droit sur nous et semblait inéluctablement vouloir atterrir sur notre espace de travail. Je criais aux autres de s’écarter mais l’avion s’était déjà posée au sol et roulait à vive allure sur les tables, et, sur les collègues qui se trouvaient là…
Des cris s’élevaient devant moi, mais paralysée de stupeur, je regardais la scène qui se déroulait sous mes yeux, à quelques mètres à peine. Ne réalisant toujours pas, ce qui était en train d’arriver, j’observais les gens, courant anarchiquement dans toutes les directions, et dessinant ainsi sur la plaine, bien malgré eux, les branches d’une jolie étoile, dont l’épicentre se composait des victimes de l’accident.
Puis, j’entendis à nouveau le grondement d’un moteur d’avion derrière moi. Le deuxième avion avait également fait demi-tour, et revenait dans notre direction. Il volait bas, mais semblait maîtriser son vol. Cependant, il continuait de perdre de l’altitude à mesure qu’il s’approchait de nous.
A cet instant, je me disais sans nul doute, qu’il venait, dans le but de constater, la chute du premier avion. Il allait probablement, évaluer l’ampleur des victimes, et établir un état des lieux à la tour de contrôle la plus proche, pour permettre une intervention rapide des secours.
Mais au lieu de ça, l’avion commença à mitrailler droit devant lui. Les personnes tombaient les unes après les autres sous les balles venues du ciel.
Sans réfléchir, ni comprendre ce qui se passait, je me jetai à terre, me couvrant la tête avec les mains.
0n était clairement et délibérément attaqué… Mais par qui ? Et pourquoi ?
Ça n’avait pas de sens, nous étions juste des employés lambda, sortis à l’occasion de notre séminaire annuel, dont la thématique cette année, était, celle de « la journée verte »…
Mais pas le temps de se poser plus de questions, l’avion risquait de faire demi-tour pour terminer le travail inachevé, et il fallait agir. Avec deux autres collègues, nous commençâmes à courir dans le sens opposé. Et lorsque l’avion réapparut, nous avions atteint la route principale, avec l’espoir qu’une voiture passerait par-là, et nous éloignerait de ce cauchemar.
Je tournai régulièrement la tête et je vis que lors de son deuxième passage, il continuait de tirer sur la foule en panique. D’autres collègues s’écroulèrent sur la plaine, voués malheureusement à être des cibles certaines, car rien à l’horizon, ne pouvait leur offrir un abri. Il n’y avait ni arbres, ni rochers, ni bâtiments, ni quoique ce soit qui puissent leur servir de refuge…
Lorsque l’avion arriva à notre hauteur, les tirs reprirent de plus belle. Nous nous jetâmes alors sur le bas-côté de la chaussée et atterrîmes dans une espèce de vase dégoutante. Nous étions complètement immergés par ce mélange de boue et de résidus de saleté provenant de la chaussée.
Les balles sifflaient à proximité, mais je ne sentais rien d’inhabituel dans mon corps, et me disais que je n’étais probablement pas touchée…
Je ne n’osais plus faire un geste, peut-être penserait-il qu’il avait réussi à nous atteindre, et finirait-il par partir…
Nos yeux se croisèrent avec l’une des collègues, mais en cherchant l’autre du regard, nous constatâmes qu’elle avait été tuée, son visage baignant dans ce marécage.
Aucun son n’arrivait à sortir, mais je crois qu’on se comprenait sans mots dire. Il était évident que l’immobilité était de rigueur, même si cet amas gluant nous recouvrait toutes les deux jusqu’au milieu du visage, et que la puanteur qui s’en dégageait était insupportable.
Au bout de quelques minutes interminables, aucun nouveau passage d’avion ne se fit entendre, puis à nouveau un bruit de moteur, mais cette fois, c’était celui d’un véhicule en approche.
Nous étions tétanisés par la peur, mais il fallait se relever et demander de l’aide.
Avant que nous n’ayons pu faire un seul geste, le véhicule s’arrêta de lui-même à notre niveau. Il s’agissait d’un gros gabarit bicolore, dans des tons de vert et de marron. Des soldats en sortirent et nous ramassèrent pour nous pousser brutalement à l’arrière du véhicule.
Nous étions, vraisemblablement, devenues des prisonnières de guerre !
Mais qu’avait-il bien pu se passer le temps de ces quelques heures de déconnexion que nous nous étions offerts ?
Où étais mon fils ?
Ma famille, allait-elle bien ?
Où nous emmenait-on ?
Est-ce qu’on allait mourir ?
Les questions se succédaient dans ma tête, les larmes me montaient aux yeux, un sentiment de fatalité me submergeait, comme si la vie d’avant venait de s’envoler à tout jamais, et qu’à partir de cet instant je ne connaîtrais plus jamais la paix, et que mon corps, ne retrouverait plus la douceur de la vie dont j’avais pu bénéficier jusque-là.
Malheureusement, je m’apercevais seulement maintenant, que je n’avais pas su apprécier la vie à sa juste valeur…